L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (consultable ici, le rapport au Président de la République consultable ici) prévoit des mesures dérogatoires au droit commun dont l’objectif est de permettre à une partie de neutraliser, pendant une période de temps donnée, les effets de l’arrivée du terme.
Tous les schémas explicatifs sont consultables et téléchargeables en format PDF sur la page LinkedIn du Cabinet ici :
Le champ de cette Ordonnance est vaste et couvre de multiples aspects de la vie juridique des particuliers et des entreprises (délais portant sur la matière administrative, les procédures d’enquête publique, les obligations fiscales, certaines stipulations contractuelles etc.).
Nous nous limiterons ici à l’analyse de la neutralisation :
- des actes faisant l’objet de délais fixés par la loi et le règlement (1.),
- des mesures judiciaires et administratives (2.).
Si le principe de cette neutralisation et sa période d’application (du 12 mars 2020 au 24 juin 2020 en l’état de la crise sanitaire) sont simples à appréhender, il ne faut pas pour autant considérer que la neutralisation s’appliquerait de manière générale. Loin de là.
- L’interruption des actes et mesures définis par l’Ordonnance est optionnelle : les parties ont donc la possibilité de continuer à appliquer les délais « normaux » ;
- Les actes (1.) et mesures (2.) concernés par ce traitement exceptionnel sont limités.
1 – Les actes dont les délais peuvent être neutralisés, sont limités et temporellement encadrés (articles 1 et 2 de l’Ordonnance)
La possibilité pour une partie d’opter pour la neutralisation d’un délai opère uniquement pour les actes dont les délais arrivent à expiration entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 à minuit (soit à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, lequel prend fin le 24 mai 2020 à minuit, sauf si une prorogation devait être décidée – certains considèrent, non sans raisons, que l’expiration interviendra le 25 mai 2020 à minuit – dans le doute nous avons fait le choix de retenir le délai le plus court).
En conséquence, sont exclus du dispositif :
-
- les actes dont les délais ont expiré avant le 12 mars 2020;
- les actes dont les délais arrivent à expiration après le 24 juin 2020 à minuit.
1.1 – Les actes visés par le dispositif de neutralisation sont limités à ceux faisant l’objet d’un délai fixé par la loi ou le règlement
Seuls les actes faisant l’objet de délais fixés par la loi et le règlement peuvent être neutralisés.
L’article 2 de l’Ordonnance adopte une définition très large des actes bénéficiant de la neutralisation de ces délais légaux :
“Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque”
En pratique, de très nombreux actes de la vie juridique sont donc couverts par le dispositif de neutralisation.
A titre d’illustration :
-
- Tous les recours (appel, pourvoi en cassation, opposition etc. – sur l’exemple des effets sur la procédure d’appel, voir ci-après) ;
- Le cours de la prescription des actions en justice (assignation en référé, assignation au fond, saisies etc. – sur l’exemple d’une prescription quinquennale, voir ci-après) ;
- L’expiration de tous les droits de préemption assortis d’un délai légal (droit de préemption des indivisaires, droit de préemption du preneur d’un bail commercial etc.).
En revanche, les délais de nature purement contractuelle, sauf exceptions, sont exclus du mécanisme de neutralisation (voir Rapport au Président de la République, ici).
En conséquence, le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat, sous réserve de l’application des dispositions du Code civil (suspension de la prescription pour impossibilité d’agir : article 2234 du Code civil, force majeure : article 1218 du Code civil).
Les exceptions : Certaines obligations contractuelles sont toutefois neutralisées (articles 4 et 5 de l’Ordonnance) : astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires, clauses prévoyant une déchéance ou de la résiliation, dénonciation d’une convention dans un délai déterminé. Ces mesures feront l’objet d’un flash info à venir.
Par ailleurs, le sort de nombreux délais est spécialement traité par d’autres dispositions prises dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.
Ainsi, à titre d’exemple, les délais en matière pénale ou de procédure pénale font l’objet d’un traitement séparé (ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19) ; leur analyse sera spécifiquement traitée dans un flash à venir.
Enfin, certains délais et obligations sont spécifiquement exclus du champ d’application de l’Ordonnance : c’est le cas par exemple des obligations financières relevant des compensations et cessions de créances (articles L. 211-36 et suivants du Code monétaire et financier).
1.2 – La mise en œuvre de la neutralisation
L’Ordonnance indique que les actes définis ci-avant voient leurs délais « suspendus ». Cette qualification est trompeuse puisque, en réalité, le mécanisme mis en place relève plus d’une interruption.
L’article 2 de l’Ordonnance prévoit en effet que le délai légal recommence à courir à compter du 24 juin 2020 « pour la durée qui était légalement impartie » mais ne peut excéder deux mois à compter du 24 juin 2020, soit le 24 août 2020 à minuit.
En pratique, prenons l’exemple d’un délai d’appel qui a commencé à courir le 8 mars 2020, soit avant le début de la période d’urgence. Le délai pour interjeter appel sera décalé, si l’appelant le décide, et sera ouvert du 24 juin 2020 à minuit au 24 juillet 2020 à minuit :
En pratique, prenons encore l’exemple d’une prescription qui serait acquise le 5 juin 2020. Le délai pour engager l’action expirera le 24 août 2020 à minuit :
2 – Les mesures administratives ou juridictionnelles prorogées (Article 3)
L’article 3 de l’Ordonnance prévoit que les mesures administratives ou juridictionnelles arrivant à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 sont prorogées de plein droit pour un délai de deux mois à compter du 24 juin 2020, soit jusqu’au 24 août 2020 à minuit.
Le Juge ou l’autorité compétente a la possibilité de modifier ou d’arrêter les mesures prononcées avant le 12 mars 2020 si elles devaient avoir des effets qu’il conviendrait d’aménager du fait de l’état d’urgence sanitaire.
Les mesures administratives ou juridictionnelles concernées sont :
-
- Les mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction de conciliation ou de médiation ;
- Les mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;
- Les autorisations, permis et agréments ;
- Les mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
- Les mesures d’aide judiciaire à la gestion du budget familial.
La neutralisation des délais et la prorogation des mesures prévue par l’Ordonnance est donc à manier avec la plus grande prudence.
Nous recommandons de continuer à respecter, dans la mesure du possible, les délais impératifs de procédure, notamment en matière de procédure d’appel.
Notre cabinet reste activement mobilisé pour vous assister dans toutes problématiques en relation avec ces sujets. N’hésitez pas à nous contacter (voir nos coordonnées ci-dessous ou encore notre site internet www.lecspartners.com).
Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet Laude Esquier Champey.