Mis à jour suite aux décrets n°2020-371 du 30 mars 2020 publié le 31 mars 2020 et n°2020-378 du 31 mars 2020 publié le 1er avril 2020
La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 dite “d’état d’urgence sanitaire” a autorisé le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnances, des mesures afin de permettre « de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie » (article 11.I.1°g)).
Le Gouvernement, utilisant cette autorisation, a adopté une ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.
Ces mesures réglementaires, étant d’application immédiate, sont entrées en vigueur le 26 mars 2020.
Elles viennent d’être complétées par deux décrets successifs, auxquels il convient de se reporter pour déterminer quelles sont les entreprises éligibles aux mesures mises en place par l’ordonnance, à savoir :
- un décret n°2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation,
- un décret n°2020-378 du 31 mars 2020 relatif au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.
Si le législateur avait initialement prévu que ces mesures puissent bénéficier aux microentreprises au sens du décret n°2008-1354 du 18 décembre 2008 (soit les entreprises dont l’effectif est inférieur à 10 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total de bilan n’excède pas 2 millions d’euros), le Gouvernement en a en réalité drastiquement réduit le périmètre d’application.
Au final, et contrairement à ce que pouvaient laisser espérer aux entreprises locataires de locaux commerciaux ou professionnels les premières annonces du Chef de l’Etat, le régime de report des paiements mis en place ne bénéficiera qu’aux très petites entreprises, et encore, pas à toutes…
1 – Mon entreprise, locataire de locaux commerciaux ou professionnels, peut-elle bénéficier de ces mesures ?
En vertu de l’article 1 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, les mesures prises sont applicables aux entreprises susceptibles de bénéficier du Fonds de solidarité (créé concomitamment par l’Ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020), suivant des critères d’éligibilité fixés par le décret n°2020-371 du 30 mars 2020.
Ce décret vient de préciser ces critères d’éligibilité au Fonds de solidarité, et il en résulte que les mesures en matière de paiement des loyers et factures d’énergie et eau édictées par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 ne bénéficieront qu’aux entreprises qui rempliront les 10 conditions cumulatives suivantes (articles 1 et 2) :
1°) avoir débuté son activité avant le 1er février 2020
2°) n’avoir pas déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020
3°) avoir un effectif inférieur ou égal à 10 salariés
4°) avoir réalisé un chiffre d’affaires, sur son dernier exercice clos, inférieur à 1 million d’euros (si l’entreprise n’a pas encore clos d’exercice, son chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de sa création et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83.333 euros)
5°) avoir réalisé un bénéfice annuel imposable (augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant), au titre de l’activité exercée, n’excédant pas 60.000 euros au titre du dernier exercice clos (pour l’entreprise n’ayant pas encore clos un exercice, le montant de son bénéfice annuel imposable – augmenté des sommes éventuellement versées au dirigeant – est établi sous sa responsabilité, au 29 février 2020, sur sa durée d’exploitation et ramené sur 12 mois)
6°) son dirigeant majoritaire ne doit pas être titulaire, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse, ni avoir bénéficié, entre les 1er et 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros
7°) ne pas être contrôlée par une société commerciale au sens de l’article L.233-3 du Code de commerce
8°) lorsqu’elle contrôle une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l’article précité, la somme des salariés, des chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées respecte les seuils précités (aux points 3°, 4° et 5°) relatifs à l’effectif, au chiffre d’affaires et au bénéfice imposable maximum
9°) ne doit pas avoir été, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l’article 2 du Règlement (UE) n°651-2014 de la Commission du 17 juin 2014
10°) avoir, soit fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre les 1er et 31 mars 2020, soit subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70% entre les 1er et 31 mars 2020 par rapport à la même période de l’année précédente (si l’entreprise a été créée après le 1er mars 2019, le seuil de perte de chiffre d’affaires du mois de mars 2020 devra être apprécié par rapport à son chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre sa date de création et le 29 février 2020).
Cependant, à peine ce décret publié, le Ministre de l’Economie et des Finances a annoncé le même jour un assouplissement de cette dernière condition, indiquant que le seuil de perte de chiffre d’affaires de 70% était finalement abaissé à 50%, et qu’un décret modificatif du décret devrait sortir dans les tout prochains jours…
Quant au décret n°2020-378 du 31 mars 2020 publié ce jour, il impose aux entreprises souhaitant bénéficier des mesures de suspension des paiements des loyers commerciaux et des factures d’eau et d’énergie de justifier qu’elles remplissent les conditions d’éligibilité précitées en (article 2) :
- produisant une attestation sur l’honneur attestant du respect des conditions susmentionnées et de l’exactitude des informations déclarées, et
- présentant l’accusé de réception du dépôt de leur demande d’éligibilité au Fonds de solidarité.
Il apparaît donc que les entreprises devront nécessairement faire une demande d’aide au Fonds de solidarité pour pouvoir bénéficier de ce régime de report des paiements des loyers et factures d’eau et d’énergie.
Par ailleurs, les entreprises en état de cessation des paiements ou faisant l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) pourront également bénéficier des mesures de suspension des paiements dès lors qu‘elles rempliront des conditions spécifiques – distinctes de celles précédemment exposées – qui seront exposées dans un prochain Flash-info.
2 – Les mesures relatives au paiement des loyers commerciaux (article 4 de l’ordonnance)
Les locataires bénéficiaires de ces mesures pourront suspendre le paiement de leurs loyers commerciaux et charges locatives sans encourir de ce fait “de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions”.
Sont uniquement concernés les loyers et charges locatives venant à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. La fin de l’état d’urgence sanitaire ayant été fixée par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 au 24 mai 2020 (sous réserve d’une éventuelle prorogation), les locataires admis au bénéfice de ces mesures pourront donc suspendre le paiement de leurs loyers et charges venant à échéance durant la période du 12 mars au 24 juillet 2020.
L’ordonnance reste cependant taisante sur les modalités de paiement et rééchelonnement des loyers et charges ainsi reportés, ouvrant ainsi la voie à la survenance de litiges entre bailleurs et locataires à la fin de la période de suspension des paiements.
3 – Les mesures relatives au paiement des factures d’eau, gaz et électricité (articles 2 et 3 de l’ordonnance)
Les locataires bénéficiaires de ces mesures pourront suspendre le paiement de leurs factures d’eau, gaz et électricité sans encourir, à compter du 26 mars et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire (24 mai 2020 sauf prorogation), une suspension, interruption, réduction ou résiliation de fourniture.
Sont uniquement concernées les factures non encore payées et exigibles entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 mai 2020 (sauf prorogation).
Les locataires bénéficiaires de ces mesures devront, pour obtenir le report des échéances de paiement de leurs factures, en faire la demande auprès du fournisseur concerné et attester qu’ils remplissent bien les conditions d’éligibilité susmentionnées pour bénéficier de ces dispositions.
Le report ne pourra donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités.
A la fin de l’état d’urgence sanitaire, le paiement des échéances reportées sera réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures au dernier jour du mois suivant la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, sur une durée d’au minimum 6 mois.
En conclusion, la majeure partie des entreprises lourdement impactées par l’épidémie de coronavirus ne bénéficieront pas de ces mesures d’accompagnement. Elles n’auront donc d’autre choix, pour suspendre le paiement de leurs loyers commerciaux, que de recourir aux outils de droit commun, si elles en remplissent les conditions, à savoir notamment la force majeure, l’imprévision ou encore l’exception d’inexécution, qui feront l’objet d’un prochain Flash info.
Ou, à défaut, de continuer à payer leurs loyers, en tentant d’obtenir les prêts garantis par l’Etat.
Notre cabinet reste activement mobilisé pour vous assister dans toutes problématiques en relation avec ces sujets. N’hésitez pas à nous contacter (voir nos coordonnées ci-dessous ou encore notre site internet www.lecspartners.com).